Ecoutez Arnaud de la Croix au micro de Jean Jauniaux

Les Editions du Lombard publient une histoire passionnante de la franc-maçonnerie, racontée avec la rigueur et l’érudition de l’historien Arnaud de la Croix et la fantaisie souriante du dessin de Bercovici. Voilà un sujet à la fois austère et fantasmagorique que la franc-maçonnerie, dont l’Histoire est jalonnée de légendes, fake news, théories complotistes et autres fables qu’une société « secrète » ou au moins « discrète » ne manque pas d’inspirer. Paradoxalement, le dessin de Bercovici et le découpage classique de cette histoire multiséculaire en bande dessinée, objectivent d’une certaine façon les récits biographiques des dix-huit personnalités choisies par de la Croix comme autant d’escales thématiques dans ce voyage initiatique. Le dessin, au trait parfois décalé, permet grâce à l’humour une approche bienveillante de ce qui est aussi une formidable et stimulante leçon d’histoire du monde. Outre le déroulement chronologique, dont les origines remontent à l’Arche de Noé et au Temple de Salomon, (au moins en ce qui concerne les références symboliques),le récit nous donne à connaître les différentes étapes de la création et de l’évolution de la franc-maçonnerie dans le monde (dont le dernier chapitre consacré au documentariste Tristan Bourlard dresse un panorama et une synthèse exemplaires) et des idéaux philosophiques qui l’ont nourrie au fil des siècles, depuis le XVIIe jusqu’à nos jours. Pour nous guider dans cette histoire, dix-huit biographies nous permettent à travers des portraits vivants et accessibles, d’aborder à la fois l’histoire lointaine (dont les sources sont incertaines, nous précise l’historien Arnaud de la Croix) et le rôle dans la franc-maçonnerie de figures historiques plus familières, chacune d’entre elles permettant d’aborder une thématique et de répondre à la curiosité du lecteur. Ainsi l’accueil des femmes en franc-maçonnerie est raconté dans le portrait d’une figure exceptionnelle du féminisme : Maria Deraisme, créatrice de la loge mixte « Le Droit humain »). Les rapports entre religion et franc-maçonnerie sont évoqués à différentes reprises, notamment, pour l’Islam, dans le récit consacré à Abd El-Kader. Les persécutions par les régimes totalitaires nazi sont évoqués dans le portrait de Himmler. L’évocation des persécutions par le régime fasciste italien est raconté dans la biographie de Hugo Pratt (dont le père appartenait aux chemises noires et a participé au saccage d’une loge maçonnique vénitienne qu’Hugo Pratt évoquera des décennies plus tard dans un album de Corto Maltese , « la fable de Venise » et dans laquelle il sera initié… Nous ne citerons pas ici chacun des protagonistes de cet album passionant. Le lecteur les trouvera sur le site des Editions du Lombard. S’il fallait toutefois épingler deux de ces portraits, nous choisirions celui de Rudyard Kipling – dont la vie inspire aux auteurs un récit poignant, orné d’un poème digne des grands textes humanistes de l’auteur du Livre de la Jungle- et celui de Benjamin Franklin, passionnant personne de l’histoire des Etats-unis, figure de proue de l’humanisme et du combat pour les libertés. L’ouvrage se termine sur un glossaire et une bibliographie qui permettra au lecteur de poursuivre son apprentissage de la franc-maçonnerie, d’en isoler la réalité des fantasmes, mais surtout d’en apercevoir les valeurs auxquels, maçons ou pas, il nous est loisible de trouver des qualités indispensables en nos temps d’intolérance, de violence, de fanatisme et de cruauté. Comme le conclut Arnaud de la Croix, dans un monde où les clivages politiques, religieux ou sociaux tendent à se durcir, l’objectif initial, celui de « réunir ce qui est épars », de faire se rencontrer ceux qui sans cela ne se seraient jamais rencontrés, cet idéal reste peut-être plus que jamais d’actualité. Formons le voeu qu’en cette période oppressante la lecture de ce livre piquera la curiosité de celles et ceux qui y auront découvert un cheminement dans l’Histoire et dans le mouvement incessant des idées et des engagements qui tentent si pas de la rendre plus acceptable, au moins d’en tirer des leçons. Jean Jauniaux, le 29 octobre 2020.