Le Président (1961) | Le discours du Président du Conseil Beaufort (Jean Gabin)

Les mots d’Audiard (et de Georges Simenon) dans la bouche de Gabin ... un moment d’anthologie ! Le Président est un film français d’Henri Verneuil, sorti en 1961. C’est l’adaptation du roman du même nom de Georges Simenon. Avec Jean Gabin, Bernard Blier ... L’extrait du discours du Président du Conseil Beaufort (Jean Gabin) : Émile Beaufort Messieurs, Monsieur Chalamont vient d’évoquer en termes émouvants les victimes de la guerre. Je m’associe d’autant plus volontiers à cet hommage qu’il s’adresse à ceux qui furent les meilleurs de mes compagnons. Au moment de Verdun (55), monsieur Chalamont avait dix ans, ce qui lui donne par conséquent le droit d’en parler. Étant présent sur le théâtre des opérations, je ne saurais prétendre à la même objectivité : on a une mauvaise vue d’ensemble quand on voit les choses de trop près. Monsieur Chalamont parle d’un million cinq cent mille morts. Personnellement, je ne pourrais en citer qu’une poignée, tombés tout près de moi. Applaudissements d’une moitié de l’hémicycle J’ai honte messieurs. Mais je voulais montrer à monsieur Chalamont que je peux moi aussi faire voter les morts. Le procédé est assez méprisable, croyez-moi. Moi aussi, j’ai un dossier complet. Trois cents pages. Trois cent pages de bilans et de statistiques que j’avais préparés à votre intention. Mais en écoutant monsieur Chalamont, je viens de m’apercevoir que le langage des chiffres à ceci de commun avec le langage des fleurs qu’on lui fait dire ce que l’on veut. Les chiffres parlent mais ne crient jamais. C’est pourquoi ils n’empêchent pas les amis de monsieur Chalamont de dormir. Protestations Permettez-moi messieurs de préférer le langage des hommes, je le comprends mieux. Pendant toutes ces années de folie collective et d’auto-destruction, je pense avoir vu tout ce qu’un homme peut voir. Des populations jetées sur les routes, des enfants jetés dans la guerre, des vainqueurs et des vaincus finalement réconciliés dans des cimetières que leur importance a élevé au rang de curiosité touristique. La paix revenue, j’ai visité les mines. J’ai vu la police charger les grévistes, je l’ai vue aussi charger les chômeurs, j’ai vu la richesse de certaines contrées et l’incroyable pauvreté de certaines autres. Et bien durant toutes ces années, je n’ai jamais cessé de penser à l’Europe. Monsieur Chalamont, lui, a passé une partie de sa vie dans une banque, à y penser aussi. Nous ne parlons forcément pas de la même Europe. Applaudissement mêlés de protestations Un député Nous pensons d’abord à la France. Chalamont Mais vous n’avez pas le monopole de l’Europe, nous y pensons aussi. Émile Beaufort Tout le monde parle de l’Europe. Mais c’est sur la manière de faire cette Europe que l’on ne s’entend plus. C’est sur les principes essentiels que l’on s’oppose. Pourquoi croyez-vous, messieurs, que l’on demande au gouvernement de retirer son projet d’union douanière ? Parce qu’il constitue une atteinte à la souveraineté nationale ? Non, pas du tout. Simplement parce qu’un autre projet est prêt. Chalamont C’est faux ! Émile Beaufort Un projet qui vous sera présenté par le prochain gouvernement. Chalamont Monsieur le Président je vous demande la permission de vous interrompre. Émile Beaufort Ah non ! Et ce projet, je peux d’avance vous en dénoncer le principe. La constitution de trusts horizontaux et verticaux et de groupes de pression qui maintiendront sous leur contrôle non seulement les produits du travail, mais les travailleurs eux-mêmes. On ne vous demandera plus, messieurs, de soutenir un ministère mais d’appuyer un gigantesque conseil d’administration. Longs applaudissement et protestations Le président de l’assemblée Messieurs un peu de calme, la parole est à monsieur le Président du Conseil. Émile Beaufort Si cette assemblée avait conscience de son rôle, elle repousserait cette Europe des maîtres de forge et des compagnies pétrolières, cette Europe qui a l’étrange particularité de vouloir se situer au-delà des mers, c’est-à-dire partout sauf en Europe. Car je les connais, moi, ces Européens à tête d’explorateur. Un autre député La France de 1789 avait une mission civilisatrice à remplir. Émile Beaufort Et quelques profits à en tirer. L’autre député Il y avait des places à prendre : le devoir de la France était de les occuper pour y trouver de nouveaux débouchés pour son industrie, un champ d’expériences pour ses armes... Émile Beaufort « ... et une école d’énergie pour ses soldats », je connais la formule. Et bien personnellement je trouve cette mission sujette à caution et le profit dérisoire. Sauf évidemment pour quelques affairistes en quête de fortune et quelques missionnaires en mal de conversion. Or, je comprends très bien que le passif de ces entreprises n’effraie pas une assemblée où les partis ne sont plus que des syndicats d’intérêt ! Protestations. Un député Il est fou, c’est un suicide ! Un autre député Non, mais c’est un adieu. (.../...)
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