Schumann : Sonate en fa dièse mineur n°1 (Alexandre Kantorow)

Le pianiste Alexandre Kantorow interprète la Sonate en fa dièse mineur n°1 de Schumann. Extrait du concertg donné le 26 mars 2022 à l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique. Structure : Introduzione : Un poco Adagio - Allegro vivace Aria Scherzo : Allegrissimo - intermezzo : Lento Finale : Allegro, un poco maestoso « La sonate semble en fin de course. C’est très bien ainsi, car on ne peut répéter les mêmes formes pendant des siècles, et il faut penser aussi à des choses nouvelles. Qu’on écrive donc des sonates ou des fantaisies (qu’importe le nom !), pourvu qu’on n’oublie pas la musique, et, pour le reste, implorez votre bon génie », écrit Schumann en 1839. Entre 1833 et 1838, il avait pourtant composé les trois Sonates op. 11, 14 et 22, ainsi que la Fantaisie op. 17. Tant d’efforts pour conclure à l’épuisement du genre ? On supposera plutôt que Schumann avoue à demi-mot ses difficultés à le maîtriser, alors que son « bon génie » le porte naturellement vers la miniature. S’il se confronte obstinément à cette forme d’amples dimensions, c’est également parce qu’elle confère à un compositeur allemand le statut d’héritier de Beethoven. La Sonate n° 1 en fa dièse mineur illustre cette tension entre respect de la tradition et aspiration au renouvellement. En quatre mouvements, elle ajoute un scherzo au moule classique. Son premier volet reste fidèle à l’allegro de sonate tripartite (exposition-développement-réexposition), précédé ici d’une introduction lente (idée déjà exploitée par Beethoven). Mais en ces années 1830, Schumann associe toujours le fait de composer à une forte dimension autobiographique, comme en témoigne la première édition de la Sonate n° 1 : sur la page de titre, un masque entouré de deux cols de cygne sert de socle à deux sphinx à bec d’épervier et au corps de lion ; ces figures soutiennent elles-mêmes un ange, porteur d’un cartouche informant que la Sonate est « dédiée à Clara par Florestan et Eusebius ». Schumann s’adresse ici à la jeune Clara Wieck (1819-1896), qu’il aime passionnément et qu’il épousera en 1840 (au moment où il amorce l’œuvre, il nourrit cependant de tendres sentiments pour Ernestine von Fricken, dont il se détachera durant la composition). À son propre nom, il substitue ceux de Florestan et Eusebius, qui incarnent des aspects à la fois opposés et complémentaires de sa personnalité : impétueux et fantasque pour le premier, rêveur et mélancolique pour le second. Par ailleurs, le thème principal de l’Allegro vivace provient d’un Fandango de 1832 et du Ballet des revenants op. 5 de Clara Wieck. Pour la mélodie de l’Aria, annoncée dans l’Introduzione du premier mouvement, Schumann reprend son lied An Anna (1828). Quant à l’Intermezzo du Scherzo, il emprunte à l’une de ses Burlesken inédites (1832). L’originalité de la partition s’affirme aussi dans maints détails de la construction. Ainsi, l’Introduzione reparaît dans le développement de l’Allegro vivace. L’Aria, au climat feutré, conserve à peu près les dimensions du lied dont elle est issue. Étonnamment concise, elle offre une sorte de respiration entre deux mouvements rapides. Le Scherzo adopte la forme ABACA (l’Intermezzo constituant la partie C) qui deviendra fréquente dans la musique de Schumann. C’est sans doute le Finale qui s’écarte le plus des schémas préétablis : ses deux parties, presque identiques, consistent en une mosaïque de motifs, de caractère tour à tour « Florestan » et « Eusebius ». Signe que Schumann, à la conquête de la grande forme, n’en reste pas moins l’homme des humeurs alternées.
Back to Top